I don't know why • Seden Dimitriov & Alys Juhel

Just a Boy by Angus & Julia Stone

© Hollow Art

Tout a commencé par une supposition. Quelques mots en l’air dans un café sur le campus. Celui que nous avions l’habitude de fréquenter lorsque j’étais en fac et lui au lycée. J’ai gardé d’excellents souvenirs de cette période d’ailleurs, tout comme le lien étroit que j’entretiens toujours avec lui. J’aime ce garçon, même si je ne me l’explique pas. Oui, il est de trois ans plus jeune que moi. Oui, il m’arrive de flirter avec son frère. Mais j’aime passer du temps avec lui, et c’est suffisant pour vouloir le revoir, toujours. Même si la situation nous semble bizarre à tous les deux. Peu importe. Je ne suis pas ce genre de fille. Sa compagnie me plaît alors, je continue de le fréquenter.

Il est tellement différent de son frère ! Beaucoup plus doux, plus sincère, plus maladroit aussi, ce qui le rend d’autant plus attendrissant. Plus jeune, j’aimais ressentir son béguin pour moi. Aujourd’hui, j’ignore si c’est encore le cas mais il est certain que nous partageons plus encore qu’à l’époque. Je ne me suis jamais moquée de lui à vrai dire. Ca m’a toujours plus ou moins flattée de le savoir amoureux. Peut-être même que je me serai laissée tentée, quelquefois. Plus aujourd’hui qu’autrefois d’ailleurs… Mais là n’est pas la question, pour l’instant !

Les températures ont remonté. Le printemps pointe le bout de son nez. Un foulard léger autour du cou, j’avance lentement mais sûrement dans ma petite robe de laine rouge. Sur mes épaules, une étoffe de même couleur récemment taillée pour l’occasion et à mon bras, le légendaire petit panier. Nul doute sur le fait que je m’apprête à attirer l’attention ainsi « déguisée », mais le jeu en vaut la chandelle. C’est l’anniversaire de Seden et personne à part lui ne comprendra l’allusion. Je sais que les choses sont difficiles pour lui, de part sa position, et enfin sa nature. Pour commencer, il est un jeune loup. Il doit constamment se maîtriser et apprendre à taire la bête qui gronde en lui. Moi j’ai confiance en lui, et je sais que je n’ai rien à craindre en sa compagnie. Enfin, il est le fils de l’Alpha et surtout, le frère de son abruti d’aîné. Je sais que Belian lui mène la vie dure, peut-être pas à quel point, mais continuer de le fréquenter malgré ça, je pense que ça peut au moins étonner son frère et lui rabattre le caquet quelques minutes. Je l’aime ce petit loup moi, il me fait bien rire et je ne me sens pas traquée comme la gazelle par le lion lorsque je suis avec lui. Contrairement à son frère et à beaucoup d’autres, il me respecte. Je le trouve peut-être plus maladroit et sensible que d’autres mais c’est encore ce qui me plaît chez lui. N’allez pas croire que je suis le genre de fille à ne jurer que par les mauvais garçons. Eux, ça va bien un moment. Quand je suis avec Seden c’est une part de mon enfance qui refait surface. L’insouciance. On s’amuse, on parle, on rit, à en oublier l’heure parfois, et moi d’être en retard à l’Amnistia… mais peu importe, c’est toujours le cœur léger que je le quitte, et l’œil rieur. Il est toujours de bonne humeur !

23 ans déjà. Il grandit aussi, et ça, j’ai probablement tendance à l’oublier. Il n’est plus l’adolescent timide d’il y a quelques années. C’est un homme aujourd’hui, qui a pris de l’assurance, et peut-être qu’il n’apprécie pas toujours la façon dont je le traite, même s’il n’en dit jamais rien. Il est vrai que je le compare bien trop à son frère, et le prends un peu pour un gamin. C’est compliqué. Un peu comme si le « nouveau Seden » me faisait peur. Je suis davantage habituée au lycéen rêveur qui attendait que je prenne place à ses côtés dans l’autobus. Je n’ai pas envie de découvrir un jeune homme comme tous les autres en lui, de retrouver Belian dans son attitude ou sa façon de parler. Cela fait des mois que j’essaie de m’expliquer ce que je ressens exactement vis-à-vis de lui. Quelque chose m’échappe à son propos. Puis-je l’aimer et être effrayée par lui tout à la fois ? En tous les cas ça ne me ressemble pas. Peu importe. Comme d’habitude, je vais passer à autre chose et me reposerait la question plus tard…

Je traverse le parc d’une démarche assurée, quand je l’aperçois enfin au loin. Il n’y a pas beaucoup de monde, et c’est tant mieux. On sera tranquilles, comme ça. Deux, trois personnes se retournent sur mon passage, sans vraiment remarquer la tenue qui m’habille. Normal. Le tout est discret et approprié aux températures de saison. Je me moque de toute façon de ce qu’ils peuvent bien penser. Je ne suis pas là pour leur plaire !

« 24 avril sur le campus, pique-nique de saison au parc, derrière l’université. » Voilà à peu près ce qu’il s’était dit la dernière fois que nous nous étions vus. Sans faire mention de son anniversaire, j’avais posé ce rendez-vous comme un défi, heureuse de pouvoir lui faire la surprise au final. Il n’a rien dit. A-t-il pensé que j’avais oublié cette date importante ? Aujourd'hui pourtant il est là, et je suis décidément heureuse de n’avoir pas préparé tout cela pour rien ! Ou plutôt… de ne pas avoir demandé d’aide à Elvira et Lea pour rien…

A son regard taquin, j’offre un sourire mutin. De suite, je remarque qu’il a encore grandi, et fait maintenant une bonne tête de plus que moi. A son sourire, son air étonné, je devine que le déguisement a fait son petit effet. Aussi, en parfait Chaperon Rouge, m’approche-je de lui avant de déposer un baiser sur sa joue fraîche.

-Bon anniversaire, mère-grand ! Pour fêter ça : votre galette et son petit pot de beurre évidemment, dis-je alors en lui présentant mon panier.

Lui comme moi ne pouvons ainsi retenir un fou rire et tandis qu’il me débarrasse de mes encombrantes affaires, nous nous accroupissons tous les deux dans l’herbe verte du parc. Puisque le temps se prête au jeu, je retire ma cape que j’étale sur le sol et qui servira de nappe pour le coup. Le regard de mon compagnon se pose alors sur ma petite robe et les souliers rouges qui recouvrent la pointe de mes collants et trahit un étonnement supplémentaire.

-Je n’ai rien oublié, tu peux vérifier. Chaperon Rouge jusqu’au bout… !

Et de nouveau, il a droit à ma petite moue taquine, tandis que d’une main secourable, il m’invite à m’installer près de lui sur le carré carmin prévu à cet effet.